Fin 2014, la dette grecque représentait 317 milliards d’euros, soit 176 % du PIB, contre 103 % en 2007. Cette dette résulte d’un triple aveuglement. D’abord, celui des marchés financiers, qui ont prêté à la Grèce, sans tenir compte du niveau insoutenable de ses déficits public et extérieur. Ensuite, l’aveuglement des classes dirigeantes et des gouvernements grecs, qui ont laissé se développer une croissance déséquilibrée, basée sur les bulles financières et immobilières, la corruption, la mauvaise gouvernance, la fraude et l’évasion fiscale. Enfin, l’aveuglement des institutions européennes qui, après le laxisme des années 2001-2007, ont imposé à la Grèce des programmes d’austérité écrasants et humiliants. Ceux-ci ont certes permis de réduire le déficit public, mais ils ont fait augmenter le ratio dette/PIB, en raison de la chute du PIB, qui est 25 % en dessous de son niveau de 2008. L’austérité a surtout plongé la Grèce dans la détresse économique et sociale, dont le taux de chômage supérieur à 25 %, et le taux de pauvreté de 36 %, sont de tristes illustrations.
Par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak, économistes atterrés
Peut-on imposer à la Grèce de continuer à respecter ses engagements européens, de réduire sa dette à 60 % du PIB en 20 ans ? La Grèce devrait verser chaque année 6 % de son PIB ; cette ponction déséquilibrerait son économie et empêcherait toute reprise. L’Europe ne peut demander au gouvernement grec de renoncer à son programme électoral pour mettre en œuvre la politique du gouvernement précédent, qui a échoué.
Le programme de Syriza comporte la reconstitution de la protection sociale, des services publics, d’un niveau de vie acceptable des retraités et salariés pauvres, mais aussi la réforme fiscale, la lutte contre la corruption, la recherche d’un nouveau mode de développement, basé sur le renouveau productif. C’est un chemin ambitieux, qui suppose de lutter contre l’avidité et l’inertie des classes dominantes et de mobiliser la société tout entière, mais c’est le seul porteur d’avenir.
L’Europe doit donner du temps au peuple grec, pour permettre au nouveau gouvernement de mettre en œuvre son programme de redressement social puis productif. Il faut rendre soutenable sa dette en la transformant en dette à très long terme, protégée de la spéculation. Cette dette pourrait être financée par des euro-obligations à des taux très faibles (0,5 % à 10 ans). Ainsi, les contribuables européens ne seront pas mis à contribution, et la charge de la dette grecque sera acceptable.
La France doit soutenir la proposition de Syriza d’une conférence européenne de la dette, car le cas grec ne fait qu’illustrer le dysfonctionnement de la zone. Pour sortir de la crise économique, sociale et politique, la zone euro doit effectuer une rupture franche : ne pas chercher à réduire la dette par l’austérité, mais par la mise en cause de la domination de la finance et par un renouveau productif axé sur la transition écologique.