En 2012, L’âge de faire avait donné la parole à l’Association des anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre (4Acg). L’engagement de ses membres, garde toute sa pertinence, à l’heure où l’actualité a fait ressurgir la guerre d’Algérie sur le devant de la scène.
Des anciens appelés en Algérie reversent leur retraite de combattant à une association afin d’oeuvrer pour la paix, à partir d’un travail de mémoire sur la guerre.
J’avais toujours rêvé de toucher la main d’un fellaga (1) » dit Rémi Serres, fondateur de l’association 4Acg (Anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre). « Mais ce jour là, c’était plus que la main. Sur la place de Bejaia (2), on est tombés dans les bras l’un de l’autre. On a pleuré. On a parlé de la guerre. » C’est au cours d’un voyage pour l’association 4Acg que Rémi Serres, ancien appelé en Algérie, a rencontré Djoudi Attoumi, qui s’est battu dans l’autre camp, au sein de l’Armée de libération nationale (ALN), pour l’indépendance de son pays. Comme beaucoup d’appelés, Rémi était parti sans savoir ce qui l’attendait. « On a compris trop tard. » Quand il a embarqué sur le bateau, il partait pour le Maroc, mais en cours de route, la destination a changé.
« JE SUIS REVENU DÉMOLI »
Des années plus tard, quand, à l’âge de 65 ans, vient l’heure de solliciter la retraite du combattant, il décide de la refuser : « Je n’en voulais pas de cette retraite qui sentait trop la misère, la torture et la guerre. » Mais il veut en faire quelque chose et, avec l’aide du Comité des objecteurs du Tarn et trois amis, qui ont vécu comme lui la guerre d’Algérie, il décide de fonder 4Acg. Les adhérents seront les anciens appelés qui feront la démarche de solliciter la retraite du combattant et de la reverser pour financer les besoins de l’association. Son montant est aujourd’hui d’un peu plus de 600 euros. Marie-François Thierry a rejoint l’association en 2006, d’abord parce qu’il avait besoin de parler avec des anciens appelés. « La première rencontre a été une catharsis qui m’a permis de vider l’abcès,confie-t-il. Lui non plus n’a rien raconté au retour d’Algérie. Il est resté avec la culpabilité d’avoir contribué à laisser faire… lui qui se croyait fort des valeurs humaines qu’on lui avait enseignées. « J’ai dû me reconstruire, me réhumaniser. C’est le sens de ma vie depuis 45 ans. » La reconstruction passe désormais pour lui par une sorte de réparation :
Depuis sa création en 2004, l’association, qui compte 130 adhérents et autant d’amis, est intervenue dans une trentaine d’établissements scolaires, et notamment au lycée Jean-Monet de Montpellier. Danielle Viau y enseigne l’histoire-géographie. En 2008, elle avait choisi de travailler sur la guerre d’Algérie avec trois classes de première. « J’avais pas mal d’élèves issus de l’immigration marocaine et algérienne, et des petits enfants de pieds-noirs (4). Je voulais les faire revenir sur leur histoire. » L’enseignante, pour éviter les raccourcis façon « café du commerce », a fait travailler les élèves en sous-groupes thématiques, de manière à traiter l’ensemble des aspects de la guerre.
Le jour J, les élèves ont accueilli dans leur établissement deux anciens appelés, Rémy Serres et Georges Treilhou, ainsi que Djoudi Attoumi, ancien combattant indépendantiste. « Quelque chose de remarquable, d’extraordinaire, s’est passé ce jour là, un instant magique, profondément respectueux. 90 élèves étaient en suspens, et cela a marqué les anciens » se souvient Danielle Viau, encore émue au souvenir de Djoudi Attoumi disant aux élèves : « On ne résout jamais les problèmes par la guerre. »
Nicole Gellot
1- Tunisien ou Algérien entré en lutte contre la colonisation française.
2- Commune située à 180 km à l’est d’Alger.
3- Avant la suppression du service national, l’insoumis qui refusait d’effectuer le service militaire (et refusait le statut d’objecteur) encourait une peine de prison.
4- Européens d’Algérie.